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littérature, pays-bas français compte rendu

«Des cendres sur nos cœurs» d’Annie Degroote: Réforme, révolte et liberté

18 octobre 2021 6 min. temps de lecture

Dans son dernier roman Des cendres sur nos cœurs, l’autrice Annie Degroote se penche sur les années clés de la région dont elle est originaire. Mêlant la fiction aux faits historiques, Degroote offre une belle fresque historique qui plonge le lecteur dans le Brabant, la Flandre, l’Artois et le Hainaut de la seconde moitié du XVIe siècle.

Après l’accession au trône du fils de Charles Quint, Philippe II, en 1555, la rébellion gronde dans les Pays-Bas méridionaux. L’élément religieux domine dans la lutte contre le pouvoir espagnol. Les prédicateurs réformés, majoritairement calvinistes vers 1566, attirent de plus en plus de monde de toute condition sociale. Les prêches dirigés contre l’Église catholique, interdits et sévèrement punis par le pouvoir espagnol, ont lieu dans les champs et les bois. Les réformés sont soutenus par la petite noblesse en perte de pouvoir. La grande noblesse, qui a plus à perdre en termes d’honneur, de pouvoir et de richesse, prône également la tolérance et applique le moins possible les cruelles punitions instaurées par le roi. Tous sont conscients de l’importance de la paix sociale pour la productivité de leur région. Malgré de profonds désaccords avec le roi qui tend vers l’absolutisme, celui-ci est toujours légitime pour les grands nobles qui restent réservés quant à tout militantisme. Néanmoins, leurs efforts pour établir la paix sociale sont anéantis par le roi. L’étau se resserre.

À la pétition en faveur de la liberté de culte, appelée Le Compromis des nobles, signée par quatre cents seigneurs des Plats Pays, Philippe II oppose une fin de non-recevoir. Sa priorité est la lutte contre les «hérésies». Il ne tient plus compte de l’avis du Conseil d’État et des États Généraux, ni même de la gouvernante, sa sœur Marguerite de Parme.

Au conflit religieux s’ajoutent une prolétarisation rapide des ouvriers, un chômage massif, des périodes de famine et une lourde imposition. Les gueux ne se contentent plus de paroles. Le 10 août de l’année 1566 éclate la furie iconoclaste à Steenvoorde (aujourd’hui dans le département du Nord) qui se répand comme une traînée de poudre sur les dix-sept provinces des Pays-Bas espagnols. Effrayés, les grands ducs et le prince d’Orange se sentent sur le coup obligés de s’opposer militairement aux fauteurs de troubles, tout en maintenant leur idéal de tolérance en matière religieuse. Avec la gouvernante Marguerite de Parme, demi-sœur du roi, ils arrivent à peu près à apaiser la situation en 1567. Néanmoins, Philippe II leur envoie le duc d’Albe, bientôt appelé «le duc de fer», qui fera exécuter des milliers de personnes suspectées d’hérésie dans les années qui suivent.

L’autrice originaire du Nord, Annie Degroote, a consacré son dernier roman Des cendres sur nos cœurs à ces années clés de l’histoire de sa région, en se concentrant sur le Brabant, la Flandre, l’Artois et le Hainaut. Le titre fait référence au mercredi des Cendres de 1668, quand Albe commence sa terreur. Afin d’imprégner ses lecteurs des choix difficiles devant lesquels se voyaient placés les habitants de cette région –qu’ils soient nobles, bourgeois, paysans ou ouvriers –, Degroote s’est concentrée sur le comte d’Egmont, une figure historique tiraillée entre la fidélité au roi d’Espagne –n’était-il pas chevalier de la Toison d’or comme lui?– et la quiétude de son pays. Grâce à une carrière militaire glorieuse dans l’armée espagnole aux côtés de Charles Quint et Philippe II, Egmont occupait la fonction de gouverneur de Flandre et d’Artois. Après avoir plaidé pour une certaine liberté religieuse, il a renoué avec sa loyauté envers le roi lors des violences de 1566. Son attitude reste ambivalente par la suite. Le duc d’Albe l’accuse d’avoir facilité le protestantisme et le fait décapiter à Bruxelles en juin 1568, en même temps que le comte de Hornes. Philippe II a voulu réprimer ainsi les dernières aspirations à toute indépendance locale dans les Pays-Bas méridionaux.

À cette exécution qui marque le début de la guerre de Quatre-vingts Ans, Annie Degroote a consacré des pages émouvantes sous forme de témoignage oculaire fictif.

De fait, le lecteur est invité à suivre l’adolescent Loup, un personnage fictif, en parallèle avec l’histoire d’Egmont. À travers son histoire familiale, ses voyages et rencontres, l’écrivaine nous livre un état des lieux de la campagne et des villes, avec une attention particulière pour la culture et les moyens de communication –notamment l’imprimerie. Loup, catholique et tiraillé entre les deux camps comme Egmont, est parfaitement complémentaire du personnage du comte. Ce dernier, grand noble peu scolarisé, encore marqué par les codes d’honneur de la chevalerie, fait partie du vieux monde et a de grandes responsabilités. Loup, en revanche, représente une certaine modernité et – grâce à sa scolarisation –une liberté intellectuelle. Roturier, mais fils d’un propriétaire de domaine agricole, Loup appartient à la classe des futurs dirigeants. Il est en contact avec des «sectaires» persécutés, qu’il respecte et aide autant qu’il peut. Cependant, s’il comprend les critiques des réformés, il est d’avis, comme Érasme, qu’il vaut mieux changer l’Église de l’intérieur.

Les voyages de Loup entre Anvers, Bruxelles, Armentières et Hondschoote, que les lecteurs peuvent suivre sur une petite carte, donnent lieu à des belles descriptions de paysages inspirées par les tableaux de Pieter Bruegel

Beau, intelligent, toujours compréhensif et gentil, Loup est sans faute, mais moins intéressant que le vaniteux et coléreux comte d’Egmont, dont il rejoint la cour à Bruxelles grâce à des événements dignes d’un conte de fées. Il devient un intime du comte, fait la connaissance de la gouvernante Marguerite de Parme, de Pieter Bruegel et de l’imprimeur et éditeur Christophe Plantin, tombe amoureux de la filleule (calviniste) de Plantin et est partout bien accueilli grâce au blason d’Egmont et à son beau regard. Jusqu’à l’exécution de son mari, la comtesse d’Egmont entretient une correspondance avec Loup.

Le garçon accomplit également une mission personnelle: à la demande de sa grand-mère, il réconcilie sa famille qui était divisée en un camp catholique et un camp protestant. Ses voyages entre Anvers, Bruxelles, Armentières et Hondschoote, que les lecteurs peuvent suivre sur une petite carte, donnent lieu à des belles descriptions de paysages inspirées par les tableaux de Pieter Bruegel.

Avec Des cendres sur nos cœurs, Annie Degroote, lauréate de nombreux prix littéraires, nous offre une belle fresque historique, relatant les faits tels que les ressentent les personnes qui vivent la situation confuse au jour le jour sans avoir une vue d’ensemble. S’appuyant sur une documentation solide, Degroote explique clairement la situation politique complexe, tout en dépassant les mythes quant aux rôles joués par le prince d’Orange et le comte d’Egmont. Certes, sur le plan littéraire on pourrait remarquer que les dialogues s’éloignent parfois beaucoup de la langue parlée, qu’un trop grand nombre d’adjectifs émaille les descriptions ou que le personnage principal est trop parfait. Ces défauts n’entament cependant pas la fluidité du langage, la composition ingénieuse et l’intérêt du contenu. Qui plus est, Des cendres sur nos cœurs est accessible à un grand public et donne envie de mieux connaître l’histoire de la Flandre et de ses alentours. Il n’est pas étonnant que chaque nouveau livre d’Annie Degroote soit attendu par de nombreux lecteurs fidèles et que des dizaines de ses romans sur le Nord aient paru en poche, en grands caractères et en audio.

Annie Degroote, Des cendres sur nos cœurs, Presses de la Cité, Paris, 2021, 512 p.
Dorien-Kouijzer

Dorien Kouijzer

critique et journaliste culturel

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